欧博abgVenom : critique spider
La raison d’être de Venom s’appelle business : celui de Sony, qui a passé un accord avec Marvel Studios pour (encore) relancer Spider-Man, au sein du MCU. Un deal qui a commencé avec Captain America : Civil War, comprend deux aventures solo, et deux Avengers. En attendant la suite puisque Spider-Man : Far From Home était censé signer la fin du partenariat, Sony n’avait pas le droit d’utiliser le Peter Parker incarné par Tom Holland de son côté. Peu importe : la marque prime, et l’exploitation de l’univers de l’homme-araignée a commencé.
Avant Morbius avec Jared Leto et d’autres projets annoncés, Venom est donc le premier à débarquer, sans Spider-Man. Un comble pour ce personnage créé par Todd McFarlane et David Michelinie, étroitement lié au super-héros, et qui avait moyennement convaincu dans Spider-Man 3. Mais la version de Sam Raimi sera de toute évidence réévaluée après le visionnage du film de Ruben Fleischer (Gangster Squad), où Tom Hardy incarne le reporter Eddie Brock.
Alors que ce « loser » beau gosse et tatoué affronte une espèce d’Elon Musk, il rencontre donc Venom, le symbiote venu de l’espace. Le début d’une grande aventure, où deux têtes apparemment arrachées ne sauront abîmer la belle amitié un peu drôle et mignonne entre les deux « héros ». Rire jaune.
PISSER DANS LA TOILE
Voilà donc le premier problème : ce Venom, alien belliqueux et sauvage, transformé ici en gentil ami cosmique, blagueur et aussi méchant qu’un sale gosse dans une cour d’école. Non seulement la bestiole est d’une laideur affolante, avec une surdose de CGI qui donne souvent la nausée, mais elle passe de créature diabolique à pote un peu lourd en quelques scènes.
Entendre Venom dire qu’il est prêt à défendre la Terre parce qu’il a trouvé en Eddie un bon ami, qui lui ressemble et réchauffe son petit cœur visqueux, devrait provoquer quelques rires jaunes chez les amateurs de comics. Et le constant monologue intérieur entre Eddie et Venom, étalé dans les 3/4 des scènes, est au mieux lourdingue, au pire grotesque. Quand ce Venom compare un méchant gangster qu’il menace de bouffer à « un étron dans le vent », toute la problématique de la tonalité du film (un temps vendu comme Rated R, mais finalement PG-13 : quasi tout public) devient douloureusement évidente (et on ne voit vraiment pas qui rira à cette blague à part un fan trépané d’Elton John).
Il n’y a aucune intention de rendre justice au personnage ténébreux, qui est remixé et adouci pour servir un projet de franchise évidemment étalé jusqu’au générique de fin – avec la même finesse que The Amazing Spider-Man : Le destin d’un héros lors d’une scène post-générique qui a tout d’une parodie.
Détacher Venom de Spider-Man mais garder Eddie Brock, alors qu’ils sont tous les trois liés dans les comics, a forcé les scénaristes à réécrire en partie l’histoire. Brock est bien un reporter qui perd son travail et sa fiancée, mais sa haine envers Peter Parker, pourtant fondatrice, ne peut exister ici. Transformé en Elise Lucet de San Francisco, il est construit par rapport à Carlton Drake, une sorte d’Elon Musk au nom de rappeur (moitié frangin du Prince de Bel-Air / moitié étudiant à Degrassi), qui fait office de pseudo bad guy avec-un-plan-pour-sauver-l’humanité-en-la-détruisant.
Problème : cet antagoniste interprété par Riz Ahmed, censé être un bon acteur, est d’une platitude effarante. Brock est donc une coquille vide, un électron qui n’a aucun socle pour exister, et n’a jamais l’ampleur d’un héros – et encore moins celle d’un anti-héros.
VENAUFRAGÉ
Mais à l’heure où l’héritage des comics se dilue dans la production industrielle de super-héros, la question de la fidélité n’est plus la priorité du grand public. Reste alors le désir d’en prendre plein les yeux, d’être emporté dans un tourbillon d’effets et d’action, et être surpris par un univers où presque tout est possible.
De ce côté, Venom ressemble à un navire sans capitaine, créé pièce par pièce par différents départements, avant d’être assemblé sur une chaîne d’usine et tartiné de couches numériques en post-production. Il n’y a aucune cohérence dans le film, qui hésite entre le blockbuster générique (le héros, la fille, le méchant et l’avenir de l’humanité) et le buddy movie mutant (Eddie et son poto le symbiote, qui vont se donner des leçons pour grandir), et touche du bout des doigts la violence largement vendue en promo (les têtes apparemment dévorées par Venom sont tellement hors-champ que les dialogues doivent lourdement insister dessus).
L’action ne rattrape pas le film : elle le plonge dans le purgatoire des superproductions dont le budget (une centaine de millions ici) semble indécent vu le rendu à l’image. Le spectacle de Venom se résume ainsi à une course-poursuite et deux ou trois combats impersonnels, avec à peu près zéro intention de mise en scène.
Quand un affrontement dans un hall d’immeuble enfumé ressemble à la scène la plus originale, c’est que quelque chose cloche. Et quand des drones high tech sont littéralement jetés sur le héros, sans aucune logique que celle de créer de beaux éclairs bleus, c’est que plus personne ne semble aux commandes.
VENOMDEDIEU
La promo avait grandement misé sur Venom, mais Ruben Fleischer échoue même de ce côté. Les réactions d’Annie ou de la femme de l’épicerie, lorsqu’elles découvrent l’alien pour la première fois, sont si ridicules qu’elles précipitent le film vers la comédie. Le caractère effrayant et monstrueux du symbiote ne compte que sur la débauche d’images de synthèse, avec ce même sentiment d’images et mouvements approximatifs qui habillent trop de blockbusters.
Sans regard de cinéaste, et malgré la présence de Matthew Libatique (Mother !, Black Swan, The Fountain) à la photo – d’où quelques scènes joliment éclairées -, Venom est réduit à un amas de CGI luisant, totalement déconnecté de l’univers réaliste et fade du film. Le climax est une apothéose à ce niveau, avec un affrontement illisible où la réalité s’évanouit pendant quelques minutes, laissant place à un moment de non-cinéma totalement vidé d’énergie, de sens, et d’intérêt. Le bestiau a beau être imposant et avoir une grande gueule, il n’y a jamais de sensation de puissance, de pesanteur, ou d’agilité.
La menace qu’il est censé représenter illustre à merveille la débilité d’un scénario sans queue ni tête, où le symbiote rejette à peu près tout le monde sauf les personnages principaux, pour la seule et unique raison que cela arrange l’intrigue. Cette vague histoire de fusée et d’invasion de symbiotes, balancée en trois répliques dans un labo, permet de confirmer que le film ne raconte rien. Et s’y prend en plus très mal.
Enfin, le cas Tom Hardy, qui semble se battre contre tout le reste du film pour un numéro comico-guignolesque entre le kamikaze, le sabotage, et le happening post-moderne. Face à un Riz Ahmed neurasthénique et une Michelle Williams tellement pro qu’elle suscite moins de pitié que prévu malgré un rôle en carton, il est donc le gros mystère de Venom.
Peut-être que le film était conçu comme une comédie violente et décalée dans une autre dimension. Dans la nôtre, l’acteur semble se promener avec une pancarte qui indique que rien ne va dans cette superproduction, et qu’il a donc délibérément choisi de tout court-circuiter. Ça ne sauve pas Venom, mais ça en fera peut-être un futur cas d’école vertigineux, à ranger aux côtés de Green Lantern.